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La prohibition du cannabis aux États-Unis et son impact mondial

Nombre d’états américains autorisent désormais la commercialisation du cannabis, y compris dans le cadre récréatif. Pourtant les États-Unis ont organisé, dans les années 1930, la prohibition du cannabis. À grand renfort de slogans effrayants, de faits divers glauques, poussés par le racisme inhérent à la société américaine et les lobbyistes, les USA ont déclaré le cannabis ennemi public numéro un, avant de faire récemment, état par état, machine arrière. Et même si le cannabis refleurit de par le monde, l’impact de sa diabolisation reste fort dans certains pays. Et quelques-uns de nos politiques utilisent les mêmes arguments que les acteurs de cette prohibition il y a plus de 80 ans. Revenons donc quelques dizaines d’années en arrière et penchons-nous sur la façon dont l’administration américaine a tenté de façonner l’opinion de ses citoyens. Et accusé le cannabis de tous les maux.

Une prise de conscience au tournant du XXe siècle

Dès 1800, l’Amérique entre de plain-pied dans l’ère des drogues médicales. La morphine s’impose et se vend librement comme des petits pains. Aucune prescription n’est nécessaire pour s’en procurer et 400 000 soldats reviennent dépendants à la suite de la guerre de Sécession (1861-1865). À cela s’ajoute l’arrivée en force de l’opium sur le territoire américain, notamment dans les bagages des immigrés chinois venus travailler sur les chemins de fer des États-Unis. L’automédication est encore la règle et, en 1900, plus de 600 médicaments contiennent des opiacés ou de la morphine. Tout est légal, les dangers de ces produits sont largement méconnus et on estime, au début du XXe siècle, à 330 000 le nombre d’Américains consommateurs réguliers de morphine ou d’opium.

Le début de la guerre contre la drogue

Aux États-Unis, comme dans le monde entier, une prise de conscience s’effectue. Au pays de l’Oncle Sam, ce sont les médias qui vont les premiers mettre en avant les dangers de ces « médicaments » et de la drogue en accès libre. On raconte les ravages de ces produits dans les journaux et, petit à petit, les premières législations se mettent en place. Le Food and Drug Act est mis en place en 1905. Une convention sur l’opium se tient à Shanghai en 1905, avant que le premier traité international de lutte contre la drogue soit signé en 1912 à La Haye. Puis, en 1919, la Cour Suprême américaine interdit purement et simplement la prescription de drogues par les médecins, y compris la morphine. L’approche américaine est pourtant mauvaise, considérant la toxicomanie non pas comme une dépendance, mais comme un vice.

Les effets pervers de la prohibition et une propagande teintée de racisme

Ignorer la dépendance, cela signifie notamment de laisser pour compte les soldats revenus de la Grande Guerre morphinomanes. Cela sera également un argument quelques années plus tard, on entendra notamment dire que les drogués sont faibles, puisqu’ils… se droguent. Mais cette guerre contre les drogues s’accompagne d’une forte prohibition. Et ses effets pervers se voient immédiatement, notamment dans le cas de l’alcool. On verra sur cette période (1920 à 1933) une consommation qui ne diminue pas. Et des produits plus forts s’imposer, comme le whisky à la place de la bière, ainsi que de moins bonne qualité, voire frelatés. Parallèlement, la criminalité liée aux trafics va croissante. Mais l’effort des USA contre les drogues est conséquent et s’accompagne d’une propagande puissante, orientant le regard de la société vers ce qu’on considère comme un véritable fléau national.

Cette manipulation de masse a deux objectifs : faire peur à la population et en stigmatiser une autre partie. Et, comme souvent aux États-Unis, le racisme et la xénophobie tiennent une place importante dans les discours politiciens. Hamilton Wright accuse notamment les Chinois de pervertir la jeunesse américaine avec l’opium, en visant principalement les jeunes filles blanches. Il déclare ensuite, en 1910, que « la cocaïne est la cause directe des viols commis par les nègres (sic) ». La drogue rendrait les Afro-Américains violents, presque invincibles et surpuissants face aux armes de la police. Une police qui va, pour cette raison, passer du calibre 32 au calibre 38 dans le Sud des USA. La presse relaie largement ces propos et images dévastateurs, le moindre fait divers tend à accuser la drogue et le non-blanc.

Propagande anti-cannabis
Prospectus d’avertissement distribué dans les transports en commun américains dans les années 1930.

Harry Anslinger, le « McCarthy de la drogue »

Vingt ans après les propos de Hamilton Wright, les choses n’ont pas vraiment changé aux États-Unis. Le courant et la pensée politiques sont les mêmes, la prohibition de l’alcool est toujours en cours. Un certain Harry Anslinger en est d’ailleurs le commissaire auxiliaire, avant de prendre le poste, en août 1930, de premier commissaire du Federal Bureau of Narcotics. Puritain à l’extrême et ultra-conservateur, il va faire de la lutte contre le cannabis son cheval de bataille, cherchant notamment à asseoir son poste après la fin de la prohibition de l’alcool. Anslinger va mettre en place les mêmes techniques et arguments que Wright. Sa propagande est violente et largement relayée. « La marijuana est la drogue qui a causé le plus de violence dans l’histoire de l’humanité », dit-il. « Elle nous dirige vers le pacifisme et le lavage de cerveau communiste ».

Il ajoute : « Combien de meurtres, de suicides, de vols, d’agressions criminelles, de cambriolages et d’actes de folie maniaque le joint provoque-t-il chaque année ? Personne ne sait, lorsqu’il porte un joint de marijuana à ses lèvres, s’il deviendra un fêtard joyeux, un fou insensé, un philosophe ou un assassin ? » Anslinger utilise un horrible fait divers face au Congrès américain, en 1937, pour appuyer sa propagande. Il raconte l’histoire du massacre opéré par Victor Lacata, qui tua toute sa famille à la hache, rendu fou, selon Anslinger, par sa consommation de marijuana. Les scientifiques ne sont pas d’accord. Sur les 30 qu’Anslinger interrogent, 29 estiment que les effets du cannabis sont négligeables. Le patron du Bureau des Narcotiques ne publie que le trentième avis, qui abonde en son sens. Résultat : la même année, le Congrès fait de la possession de marijuana un crime fédéral, en votant le Marihuana Tax Act.

Affiche film Reefer Madness 1936
Affiche du film Reefer Madness (1936).

Une prohibition du cannabis déguisée, un racisme affiché

Le Marihuana Tax Act instaure la taxation de tous les acteurs de la filière du chanvre. Des importateurs aux producteurs, en passant par les industriels, les médecins, tous y sont soumis et les peines en cas d’infraction sont si lourdes qu’elles dissuadent de l’usage du cannabis.

Parallèlement, Anslinger continue ses efforts de diabolisation, en insistant toujours plus sur la question raciale. Avec les Afro-Américains, les Mexicains sont aussi des boucs-émissaires. Toujours avec les mêmes arguments. Des jeunes femmes blanches corrompues et perverties par des Noirs ou des Mexicains fumeurs de marijuana, drogue qui libèrent leurs instincts. Des instincts bestiaux et dépravés selon Anslinger. Ses propos sont hallucinants. Il dit : « Le joint fait croire aux Nègres qu’ils sont aussi bons que les Blancs. La plupart des fumeurs de marijuana sont des gens de couleur, des musiciens de jazz et des artistes. Leur musique satanique est animée par la marijuana, et sa consommation par des femmes blanches les pousse à avoir des relations sexuelles avec des Nègres. C’est une drogue qui cause la folie, la criminalité et la mort ». Le lavage de cerveau est massif, et ce lien entre drogue et racisme va longtemps perdurer.

La Une du Ogden Standard en 1915
La Une du Ogden Standard en 1915.

De puissants lobbies appuient la prohibition du cannabis

Si Anslinger est persuadé de son combat, il n’est pas seul dans sa sombre entreprise. En effet, la mise au ban du chanvre arrange de nombreux industriels. Forestiers et papetiers ne voient pas d’un bon œil l’usage du chanvre prendre potentiellement le pas dans leur business. Le nylon et le coton sont favorisés dans le très large secteur du textile au détriment du chanvre. Le pétrole prédomine et éclipse les biocarburants naturels. Les vendeurs de pesticides comptent bien, quant à eux, profiter au maximum de leur activité. Les lobbies industriels appuient donc fortement la politique de prohibition du cannabis menée par Harry Anslinger. Et ce dernier est à ce point obnubilé par le cannabis qu’il laisse passer la diffusion massive des amphétamines, légales jusqu’en 1970. Cette politique va profondément changer l’image du cannabis et l’usage du chanvre de par le monde. La production s’effondre, le cannabis est diabolisé. Mission accomplie pour Anslinger.

https://www.youtube.com/watch?v=QR9sDYPjNfI
Les Dangers de l’addiction à la Marijuana, 1951.

Les dégâts d’une politique hypocrite et raciste

Harry Anslinger reste le patron du Bureau jusqu’en 1962 et ses 70 ans, âge obligatoire de la retraite pour de telles fonctions. Sa fin de carrière est marquée par ses tentatives de blocage de publications critiquant la guerre contre la drogue. Et, donc, des actes d’insubordination. Mais son héritage reste ancré dans les mentalités américaines et sa vision sert des intérêts politiques. En 1968, le futur président Richard Nixon reprend cette thématique comme axe fort de sa campagne. En 2016, un conseiller de l’époque, John Ehrlichman, raconte que la véritable cible n’était pas le trafic de drogue.

« Nixon, dans sa campagne de 1968, puis son administration, avaient deux ennemis : la gauche anti-guerre du Vietnam et les Noirs. Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être contre la guerre ou contre les Noirs, d’où l’idée d’amener le public à associer les hippies à la marijuana et les Noirs à l’héroïne. Si nous criminalisions lourdement les deux, nous pourrions perturber ces communautés. Nous pourrions arrêter leurs dirigeants, perquisitionner leurs maisons, interrompre leurs réunions et les dénigrer nuit après nuit aux nouvelles du soir. Est-ce qu’on savait qu’on mentait pour la drogue ? Bien sûr que oui. »

John Ehrlichman, conseiller de Richard Nixon en 1968.

Après de longues décennies, la fin de la prohibition du cannabis ?

Les dégâts de décennies de War on Drugs sur les minorités, aux États-Unis mais pas seulement, les mentalités et les populations sont incalculables. Nous en subissons toujours les conséquences aujourd’hui. Mais la question du cannabis se porte désormais plus sur sa légalisation que sur son interdiction. Aux USA, le Marihuana Tax Act laisse sa place en 1970 par le Controlled Substances Act après le cas Thimothy Leary. Condamné en 1965 à 30 ans de prison pour possession illégale de marijuana, il prouva en appel, en vertu du 5e amendement, que la loi étant anticonstitutionnelle, entraînant son acquittement.

Mais il faudra attendre 2012 pour que le Colorado et l’état de Washington deviennent pionniers en matière de légalisation du cannabis. Aujourd’hui, les États-Unis restent divisés sur la question. 18 états ont franchi le cap de l’usage récréatif et 36 de l’usage médical. Et les mentalités évoluent également. Deux tiers des Américains sont désormais favorables à la légalisation du cannabis, contre seulement un tiers en 2000. Nous dirigeons-nous petit à petit vers un monde où le cannabis sera légal partout ?

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